Macaire-Ochoa – L’inconscient et l’augmentation de l’humain ?

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Dans la série des augmentations de l’humain, le cerveau est concerné. Les avancées technologiques permettent d’augmenter le cerveau à partir des nouvelles connaissances sur son fonctionnement, ce qui se concrétise avec l’intelligence artificielle, par exemple. 

L’inconscient ne s’augmente pas. 

On peut lire dans l’ouvrage de Bernard Claverie, directeur de l’École Nationale Supérieure de Cognitique de Bordeaux (ENSC) [1], l’importance accordée aux innovations des nouvelles technologies, nommées néotechnologies. Celles-ci débordent les domaines techniques et économiques pour devenir biologiques, psychologiques, sociales. Il s’agit de l’augmentation des capacités de l’homme, et le dépassement de ses limites biologiques et cognitives. L’augmentation correspond à une augmentation par des artefacts : produits manufacturés utilisant des matériaux de synthèse ou des métaux bio-implantables, des systèmes de composants électroniques, mécaniques, ou nanotechnologiques. 

On distingue, deux actions d’augmentation : l’une sur l’individu, à l’aide d’équipements portés ou incorporés, sorte de « systèmes embarqués », et l’autre sur l’environnement enrichi. 

On distingue aussi l’usager de l’utilisateur. L’un utilise consciemment le dispositif, l’autre peut en être imprégné sans le savoir. 

Ce qui frappe dans la course aux nouvelles technologies est leur inadéquation avec l’humain. L’intelligence humaine court derrière, sans être toujours à la hauteur des techniques auxquelles l’homme est confronté. C’est ainsi qu’il doit être appareillé, augmenté, à l’aide d’équipements portés ou incorporés, implantés dans le corps (pervasion), sur le corps ou extérieurs au corps. Pensons par exemple aux orthèses, prothèses, mais aussi aux drones, robots télécommandés humanoïdes, cognition déportée, augmentations et substitutions sensorielles embarquées, implants bioniques, nanotechnologies comme les puces, etc. 

Certaines ambitions technoscientifiques futuristes, comme le transhumanisme, mettent à l’horizon de leurs recherches l’immortalité : l’homme augmenté pourrait devenir immortel. Ce projet nécessite un athéisme parfait. C’est l’idée d’une ère post-humaine, ou l’homme ne serait plus acteur, mais contributeur dans un monde soumis aux intelligences artificielles. Ceci pourrait conduire à une annulation de l’humain. L’homme ne serait plus celui de la décision, de l’acte, ni de la pensée. Il serait réduit à un système. Plus de rationalité, ni même de conscience. Le langage ne servirait plus à rien et adviendrait un langage du système composé d’items encodés dans des réseaux de neurones. Le but de la manœuvre : que cet être que l’on ne peut plus nommer homme devienne une interface entre cerveau et machine. 

Donc, il est exactement permis de penser que le cerveau et l’inconscient n’ont rien en commun. Mais ce qui se profile du côté de l’électronique permet aussi de penser que dans un temps futur, il n’y aura plus d’homme au sens de la psychanalyse. L’homme deviendra un système relié à un cerveau modifié par de multiples interventions d’éléments extérieurs et par une connexion permanente avec des réseaux qui, eux, sauront définir les informations nécessaires à une prise de position, par exemple. Ceci doit advenir sans que l’homme s’en aperçoive. Nous pouvons déjà le constater avec les smartphones, les connections internet, les réseaux, entre autres. Pour l’instant, l’homme reste maître de ce qui s’y passe, mais quand il aura accès aux augmentations qui sont également des modifications, il ne sera plus humain. 

Bernard Claverie module cette précipitation vers le pire en disant que L’humanité ne va pas se laisser faire. [2]

Dans le numéro 105 de la revue Cerveau & psycho, nous découvrons une étude intitulée « La femme est-elle un objet pour notre cerveau ? », réalisée par un psychologue belge, Philippe Bernard. L’étude porte sur le cerveau dans sa possibilité de reconnaissance de la femme.

Les différentes expériences sont mesurées à l’aide d’eeg pratiquées sur des individus volontaires auxquels on soumet des images différentes de femmes plus ou moins habillées. Les résultats permettent de découvrir que le cerveau, s’il peut reconnaître un corps humain, ne le reconnaît plus si ce corps est sexualisé genre féminin. En effet, le cerveau découpe le corps en éléments indépendants les uns des autres comme il le fait pour des objets. La conclusion de ces expérimentations indique que le cerveau traite les images sexualisées de façon analytique, c’est-à-dire comme des objets, et non comme des êtres humains. « Il ne cherche pas à rattacher l’image à la catégorie « corps humain », mais se contente de faire appel aux mêmes ressources cognitives qui lui servent à reconnaître une paire de chaussures ou tout autre objet. » [3] 

Cette drôle d’étude est controversée. Cependant, on peut en déduire que ce n’est pas le cerveau qui reconnaît le corps sexué. Lui faut-il un peu de libido ? Un cerveau augmenté aurait-il plus de possibilités pour reconnaître l’image séductrice ou pornographique ? Certainement pas. 

L’inconscient, lui, connaît le sexuel. « La réalité de l’inconscient, c’est – vérité insoutenable – la réalité sexuelle ». [4]

Ce qui spécifie l’inconscient, c’est son indétermination, ou autrement dit, une liberté par rapport au déterminé. « L’inconscient, d’abord, se manifeste à nous comme quelque chose qui se tient en attente dans l’aire, dirais-je – du non-né. […] Cette dimension est assurément à évoquer dans un registre qui n’est rien d’irréel, ni de dé-réel, mais de non réalisé » [5].

Cerveau et inconscient : rien en commun ! 

La psychanalyse et en son cœur, l’inconscient, reste la seule voie pour l’avenir de l’homme – ce parlêtre noué au réel, à l’amour, au désir et à la jouissance. Peut-on être optimiste ? Nous l’espérons. 

[1] Claverie B., L’homme augmenté. Néotechnologies pour un dépassement du corps et de la pensée, Paris, L’Harmattan, 2010.

[2] Ibid.

[3] Mohammad Abdelatif S., « Le cerveau voit-il les femmes comme des objets ? », Cerveau et psycho, no 105, décembre 2018, p. 76-81.

[4] Lacan J. Le Séminaire, livre xi, Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 138.

[5] Ibid., p. 25-26. 

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