Anis Limami – Fitness du cerveau et cognition

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Dans un article de la revue Science en janvier 2019 [1], deux chercheurs ont publié une critique sur les dangers de la vente direct aux consommateurs d’appareils destinés à la mesure des performances cognitives. Ces appareils permettraient à chacun de quantifier les effets de son « brain fitness » sur sa cognition. Ces appareils sont de véritables instruments de neuro-technologie disent ces chercheurs car ils sont le résultat de la recherche sur « le cerveau et la science cognitiviste ». Toutefois ils ne bénéficient pas de la précision et de la fiabilité des matériels utilisés par les professionnels, d’où l’alerte des auteurs quant aux dégâts psychologiques que pourrait entrainer la lecture des résultats en l’absence de médecin. Ils donnent l’exemple d’un appareil de réalisation d’électroencéphalogrammes (EEG) dont le fabriquant prétend qu’il peut « lire » l’état émotionnel de l’individu, par exemple un état stressé, méditatif ou concentré. En somme, nul besoin de tiers, nul besoin de parler, le sujet sonde son cerveau, pour connaitre son état émotionnel et pourquoi pas son désir. 

Ces éléments illustrent bien cette assertion de J-A Miller « Le cognitivisme a trouvé son objet majeur : le cerveau » [2]. De même que le nouveau suffixe-maitre, neuro-, présent en signifiant-maitre est même destiné à faire vendre. Le marché des neuro-instruments est estimé à trois milliards de dollars US en 2020. Grâce à la neuro-technologie, l’IRM outils de prédilection des neurosciences et de la psychologie cognitiviste, aussi grâce aux appareils utilisables par chacun comme l’EEG, nous pouvons dire que « nous sommes dotés aujourd’hui d’un puissant imaginaire du symbolique » [3], chacun peut « imager » son activité neuronale.

Avec ces neuro-instruments en libre utilisation, le médecin, ce signifiant Un, S1 saute. Le fabriquant met les instruments de neuro-technologie directement dans une chaine de S2. N’est-ce pas de cela dont parle J-A Miller quand il dit, « On constate très largement aujourd’hui, une éclipse, sinon la disparition totale, définitive, du maître en tant qu’incarné dans le signifiant-maître » [4]. Et il poursuit, « le structuralisme était une première forme du scientisme qui fleurit avec le cognitivisme et le cognitivisme, c’est un exclusivisme de S2 » [5].

Afin d’échapper à une législation sévère pour la mise en vente de ces neuro-instruments les fabricants évitent soigneusement d’utiliser les termes « traitement » ou « diagnostique » se limitant au « bien-être », par exemple l’amélioration de la concentration. Il ne manquait plus qu’un signifiant-esclave, le voilà, c’est le signifiant « bien-être ». Les signifiants-esclaves, subordonnés à l’accord des experts, prennent la place des signifiants-maîtres. Ici on pourrait dire que le « bien-être » est subordonné à l’exigence d’un monde ou tout repose sur l’homogène et les « utopies autoritaires » [6].

[1] Wexler A. et Reiner P. B. Oversight of direct-to-consumer neurotechnologies, Science, 2019, 363-6424, p. 234.

[2] Miller J.-A., Neuro-, le Nouveau Réel, la cause du désir n°98 p111.

[3] ibid. p116.

[4] ibid. p114.

[5] ibid. p116.

[6] ibid. p114.

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