Maria Novaes – L’inconscient, un rendez-vous raté avec le cerveau
« Ce matin je ne suis pas allé travailler ; j’ai pris le train pour Montauk sans trop savoir pourquoi »
Le film « Eternal sunshine of the spotless mind », de Michel Gondry (2004), nous permettrait de saisir en quoi l’inconscient et le cerveau n’ont pas de commune mesure. Avec Lacuna, entreprise dirigée par les soins du Dr. Howard Mierzwack, il est possible d’effacer la mémoire de ceux qui le souhaitent, et de les « libérer » de toute souffrance engendrée par des souvenirs douloureux. La période d’activité la plus importante ? Celle de février, pour St. Valentin ! Clémentine [1], jeune femme impulsive et lasse de sa relation avec Joel [2], s’y dirige et demande à ce que tous les souvenirs en rapport avec lui soient effacés, jusqu’à ce qu’il redevienne un parfait inconnu. Joel, désespéré, fait appel aux mêmes services à son tour. Sauf que pour lui rien ne se passe comme prévu. Ça rate, point de départ de notre histoire.
En pleine procédure, alors que la machine parcourt tous les souvenirs répertoriés, arrivé au souvenir d’un instant précieux avec Clémentine, exactement là où il voulait être, Joel est réveillé par son désir et décide de tout arrêter. Pour fuir l’effacement, il décide de se cacher dans les recoins oubliés de sa mémoire.
Ainsi, Joel, accompagné de Clémentine, objet même des souvenirs dont il veut se débarrasser, se dirige vers les souvenirs les plus lointains, où elle n’y serait pas, pour fuir à l’effacement programmé par la machine. Il arrive ainsi à résister à l’effacement de Clémentine.
S’agissant de l’inconscient, on a affaire à l’empreinte de lalangue. « Clémentine est un prénom magique », dit-il lors de leur rencontre. En effet, cette rencontre s’avère faire écho à une toute première rencontre, celle de lalangue avec le corps.
En le voyant parcourir ses souvenirs d’enfance où il se réfugie pour fuir l’effacement de sa mémoire, on le découvre choyé par sa mère dans son bain dans l’évier, ce qu’il adorait, pendant qu’elle fredonnait la chansonnette « Oh my darling, oh my darling, oh my darling Clementine… », chanson d’ailleurs que Clémentine ne cessait d’évoquer, complexée par son propre prénom. Or, ce prénom pour lui « magique » fait écho à la trace indélébile de la rencontre d’un dire avec le corps car « l’inconscient n’est pas simplement d’être non su », mais surtout, « la jouissance d’un savoir », c’est-à-dire « il n’y a pas besoin de savoir qu’on sait pour jouir d’un savoir » [3]. Le personnage de dessin animé, référence de la chanson, était par ailleurs sa peluche préférée quand il était petit.
Clémentine, au moment ultime de sa disparition du cerveau de Joel, lui chuchote à l’oreille : « rendez-vous à Montauk », là où il se rend « sans savoir pourquoi » le matin même du réveil après la procédure.
Effacement accompli au niveau de la machine et du cerveau, il fait la rencontre de cette femme aux cheveux teints en bleu, une inconnue qui s’intéresse à lui. Cette femme était Clémentine.
Cette allégorie avec son absurdité et son surréalisme nous permet de visiter le thème de Pipol 9 à partir de la Conférence à Genève sur le symptôme, de Lacan, où la dimension de l’entendu de l’inconscient est évoquée par ce qu’il appelle un motérialisme, ce que de la parole reste incarné en tant que lettre constituant ce que Freud a défini comme l’inconscient [4].
[1] Interprétée par Kate Winslet.
[2] Interprété par Jim Carrey.
[3] Lacan J. « Conférence à Genève sur la symptôme », La Cause du désir, no 95, avril 2017, p. 7-24.
[4] Lacan J. « Conférence à Genève sur la symptôme », op. cit., p. 12-13 : « Il est tout à fait certain que c’est dans la façon dont la langue a été parlée et aussi entendue pour tel et tel dans sa particularité, que quelque chose ensuite ressortira en rêves, en toutes sortes de trébuchements, en toutes sortes de façons de dire. C’est, si vous me permettez d’employer pour la première fois ce terme, dans ce motérialisme que réside la prise de l’inconscient – je veux dire que ce qui fait que chacun n’a pas trouvé d’autres façons de sustenter que ce que j’ai appelé tout à l’heure le symptôme ».