Alain LE BARS – Repackaging.

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Le courant de recherche connu sous le nom de cybernétique (1943-1953) a inventé des machines logiques en prenant pour modèle le cerveau, et des théories du fonctionnement cérébral qui s’inspiraient des nouvelles machines. Mais les cybernéticiens ne confondaient pas leurs machines avec le cerveau. Le neuropsychiatre Warren McCulloch, qui fut avec Norbert Wiener la cheville ouvrière de la cybernétique, dressa « la première carte détaillée de l’anatomie fonctionnelle du cortex. » [1]  Dès 1923, il avait imaginé « une équivalence entre le calcul des propositions des Principia Mathematica [2] et les règles régissant l’excitation et l’inhibition des neurones dans le réseau nerveux. » [3]   

Après la dispersion du groupe cybernétique, la nouvelle génération de concepteurs de machines à calculer s’est inspirée du neurone formel de McCulloch pour concevoir les composants élémentaires des premiers ordinateurs. Comme le neurone formel, ces composants électroniques sont connectés en série et fonctionnent de manière séquentielle. 

Sur cette base matérielle, les inventeurs de l’Intelligence Artificielle (I.A.) ont développé les premiers programmes informatiques. Ils ont chargé des psychologues de recueillir les procédures utilisées par des sujets en situation de résolution de problèmes, puis ils ont traduit ces procédures en programmes informatiques. Installés sur des ordinateurs, ces programmes ont simulé la manière dont l’esprit traite certains problèmes. 

Très vite, les spécialistes de l’I.A. ont vu dans ces simulations des modèles du fonctionnement de l’esprit. L’étude des modèles a alors pris le pas sur celle de l’esprit. Rompant avec la rigueur méthodologique des cybernéticiens, les pionniers de l’I.A. ont déclaré que l’esprit fonctionnait comme leurs programmes. 

Longtemps les psychologues cognitivistes ont reproché aux cybernéticiens de s’être intéressés au cerveau. L’approche fonctionnaliste théorisée par Hilary Putnam posait que le cerveau n’est pas le bon niveau pour étudier l’esprit.

A partir des années 1980, certains cognitivistes ont jugé que leur courant s’affranchissait trop des données empiriques [4] et se sont tournés vers le cerveau. Mais ce fut moins pour en découvrir les lois que pour appliquer leur lecture cognitiviste à l’imagerie médicale.  

Francisco Varela notait, à la fin des années 1990 : « le cognitivisme a […] exercé une influence importante sur la formation des idées actuelles concernant le cerveau. D’année en année, la quasi-totalité de la neurobiologie […] est devenue imprégnée de la perspective du traitement de l’information. Dans la plupart des cas, les origines et les postulats de départ de cette perspective ne sont pas même discutés. »[5]

Stanislas Dehaene montre en quoi les neurosciences sont un repackaging du cognitivisme computationnel quand il écrit, à propos de l’inconscient cognitif :  

« La métaphore de l’ordinateur laisse entrevoir une description purement calculatoire ou algorithmique des opérations mentales. Dans ce contexte, le traitement non-conscient de l’information ne pose plus aucune difficulté conceptuelle, car c’est bien évidemment sans conscience qu’opèrent les ordinateurs. » [6]

Dehaene réitère l’erreur fondamentale du cognitivisme qui est d’assimiler la pensée, qui est à la fois syntaxique et sémantique, aux calculs d’une machine syntaxique.  

[1] CONWAY F., SIEGELMAN J., Héros pathétique de l’âge de l’information, Hermann, Paris, 2005, 2012, p. 171. 

[2] RUSSELL B., WHITEHEAD A. N., Principia mathematica, Cambridge Mathematical Library, Cambridge, UK, New York, USA, 1910, 1997, 1999.

[3] LEVY P., « Brèves indications sur la vie de Warren McCulloch et de Walter Pitts », in Cahiers du CREA, n° 7, 1985, p. 204.

[4] Cf. Jerry Fodor avec son mentalais, un langage de la pensé inné. Note de l’auteur.

[5]VARELA F. J., « Cognition et sciences cognitives », Dictionnaire d’Histoire et Philosophie des Sciences, Lecourt D., Paris, PUF, 1999, 2006, p. 220.

[6] DEHAENE S., « L’inconscient cognitif et la profondeur des opérations subliminales »,  in Psychologie cognitive expérimentaleL’annuaire du Collège de France [En ligne], 109 | 2010, mis en ligne le 24 juin 2010, consulté le 05 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/annuaire-cdf/357

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