Marie-Claude Sureau – Le cervelet, vous dis-je !

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Un article intitulé « Autisme, addiction : le cervelet en cause » de Florence Rosier, est paru dans le journal Le Monde du 23 janvier 2019, avec le sous-titre suivant : « Deux études révèlent l’importance dans certaines maladies mentales, de l’altération d’un circuit reliant ce centre nerveux au “ système de récompense ” du cerveau localisé dans le cervelet. »

Rosier y fait état d’une étude du collège de médecine Albert Einstein à New York qui a trouvé une nouvelle voie dans la cartographie du cerveau : « en cas de dysfonction, [celui-ci] semble jouer un rôle crucial dans des troubles comme l’autisme, la schizophrénie ou l’addiction. »

Les sources sont parues dans la revue Science de janvier 2019. F. Rosier nous apprend que chez la souris, le cervelet se projette directement à travers une seule connexion vers une petite zone primitive de l’encéphale, l’aire tegmentale ventrale (ATV), aire qui appartient au « système de récompense ». Certains de ses neurones produisent la dopamine, il y a connexion de plaisir, ce qui est en jeu dans les addictions.

Le cervelet n’est pas seulement responsable des troubles moteurs, mais aussi des problèmes cognitifs et exécutifs. Elle nous apprend que cela a été mis en évidence par Jeremy Schmahmann de l’École médicale de Harvard, en 1998 [1]. Puis elle indique que Christian Lüscher qui a travaillé à Genève avec des patients souffrant de traumatismes de lésions du cervelet, a publié en décembre 2018, dans la revue Nature [2], une expérience où des souris peuvent autostimuler l’aire ATV par optogénétique – technique qui permet d’activer ou d’inhiber certains neurones bien ciblés, in vivo. Il s’agissait de presser un levier déclenchant le laser qui activait cette région. Les chercheurs ont noté un comportement compulsif, car cette activation produisait de la dopamine, mais seules les souris les plus vulnérables à l’addiction agissaient ainsi !

Dans le nouveau travail relaté dans Science, l’équipe de Kamran Khodakhah [3] a aussi eu recours à l’optogénétique. Certains neurones sont rendus sensibles à une lumière bleue, jaune ou rouge, et en allumant une fibre laser, on les manipule à loisir.

Chez les souris, l’activation de cette voie du cervelet ATV est perçue comme une récompense. De plus, ajoute l’article, cette voie est suractivée quand les animaux explorent une pièce où se trouve un congénère : ils explorent plus les compartiments où se trouve une autre souris. On ne nous dit pas pourquoi, peut-être sont-elles intéressées par leurs congénères, plus que par l’activation de la dopamine ?

Et, sans transition, voici la conclusion de cet article : « Ce travail renforce l’idée que la dysfonction de ce circuit contribue au développement de l’autisme, de la schizophrénie et de l’addiction, autant de troubles où le système de récompense peut être altéré. »

« Contribue au développement… » : la formule est ambiguë ; il n’est pas mentionné qu’au contraire, il peut y avoir une décision du sujet qui sous-exploite ce réseau qui n’est pas stimulé par voie de conséquence, ce qui serait une tout autre hypothèse impliquant un choix du sujet qui ne serait pas le pur produit de ses neurones !

Les autistes et les schizophrènes sont ainsi assimilés aux rats de laboratoire – pardon, aux souris de laboratoire –, selon cette perspective !

Le système dit « de récompense » est à la base des théories cognitivo-comportementales. L’activer, le désactiver, toute la problématique de ces thérapies tourne autour de cela. Nous sommes à des années-lumière de la problématique de la parole et du langage, alors que justement le cervelet serait aussi concerné par le langage : on note des troubles du langage dans les lésions touchant le cervelet, mais le langage est ici ramené au cognitif.

Voici donc des conclusions pour le moins hâtives et à l’allure scientiste, à des expériences neurologiques qui ont tout leur intérêt dans le cadre des recherches des neuroscientifiques qui essaient de soigner des patients souffrant de traumatismes psychiques.

Ce sont les conclusions qui portent sur l’application directe de l’animal à l’humain qui font problème, ainsi que la réduction pure et simple de toute la problématique psychique humaine aux voies neuronales, donc au cerveau. Il n’est pas certain, d’autre part, que tous les chercheurs en neurologie sont absolument d’accord avec ces conclusions empruntant des raccourcis, sur les problématiques psychiques qui vont de l’autisme à la schizophrénie en passant par les addictions – c’est un large spectre !

Après le poumon ! le poumon !, le cerveau ! le cerveau !, maintenant voici le cervelet, vous dis-je !

 

 

[[1]] Schmahmann J.D  & Sherman J.C., « The cerebellar cognitive affective syndrome », Brain, no121, 1998, p. 561-579.

[2]Lüscher C. & al., « Stochastic synaptic plasticity underlying compulsion in a model of addiction », Nature, no 564, 19 décembre 2018, p. 366-371.

[3] K. Khodakhah & al., « Modulation cérébelleuse des circuits de récompense et du comportement social », Science, Vol. 363, no 6424, 18 janvier 2019.

 

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