Max Bouche – Le révisionnisme face au réel

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« Propranolol : le remède en cas de rupture amoureuse ? » titre l’article en Une de BFM, le 14 février 2019, jour de la Saint-Valentin. [1]

Une psychologue en thérapie comportementale et cognitive témoigne ; « J’ai une patiente qui vient d’apprendre que son compagnon la trompe depuis trois ans. […] Elle est en très grande autodévalorisation […]. Les symptômes permettent d’envisager de mettre en place le protocole ».

Précédemment, le signifiant « Propranolol » s’était immiscé dans les Unes de l’actualité, le 26 mars 2013 : « Propranolol est une pilule pour effacer les traumatismes », titrait alors BFM, remplaçant la Une de la veille qui concernait le coup d’état en République centrafricaine. [2]

Des centaines de rescapés souffrant de stress post-traumatique après les attentats du Bataclan, du 14 juillet à Nice, ou encore après l’explosion en 2001 de l’usine AZF à Toulouse bénéficièrent de cette « pilule anti-trauma ». Le professeur Philippe Brimes, directeur d’un laboratoire du stress traumatique à Toulouse, expliqua que cette molécule permettrait « sans effacer le souvenir du traumatisme proprement dit, de voir disparaître dans 70 % des cas traités, les symptômes de stress, phobies, troubles du sommeil et cardiaques, sudation. ‘‘Quatre-vingt-dix minutes après la prise du médicament, les patients conservent le souvenir (du traumatisme), mais n’en souffrent plus’’, précise-t-il. L’effet serait en outre durable ».

Cette pilule miracle, bêtabloquant sympatholytique, donc inhibiteur du système sympathique, est à visée préventive après chaque grande émotion. En induisant le « blocage de la reconsolidation mnésique », elle permettrait ainsi de forclore toute contingence traumatique. Avec pour seul effet secondaire, puisqu’elle est considérée comme dopant d’après l’Agence mondiale antidopage, d’interdire de ce fait certaines compétitions sportives [3].

Freud établit que « Le moi est toujours l’étalon grâce auquel on mesure le monde » [4]. Lacan dénonça en son temps les dérives de l’égo-psychologie « ipéiste » à vouloir normaliser le patient en renforçant son moi. La finalité, « Wo Es war, soll Ich werden. », n’est absolument pas celle du « moi » délogeant le « ça » – puisque cela équivaudrait à ignorer la pulsion de mort au cœur de l’être humain – mais bien celle de l’assomption du sujet de l’inconscient.

Aujourd’hui, une autre approche menace : celle du réel contingent qui dérangerait le déroulé d’une histoire. Cette approche consiste à aborder l’histoire différemment. N’est-ce pas ce qui peut être qualifié de révisionnisme ?

Reprenons l’exemple de cette femme trompée.

Son compagnon l’a trompée, elle réagit à sa manière. L’apaiser de l’autre déplaisant ne dit rien de son Autre. S’attaquer à sa défense ne dit rien de sa pulsion. Au suivant… « Lacan parle d’ ‘‘ interaction moléculaire » ; mais si l’on passe au niveau neuronal, on reste dans le régime de l’étendue partes extra partes. Cette perspective demeure celle du cognitivisme dont Lacan, à l’orée de son enseignement, se déprend et déprend la psychanalyse. » [5]

[1] https://www.bfmtv.com/sante/propranolol-le-remede-en-cas-de-rupture-amoureuse-1632414.html

[2] https://www.bfmtv.com/sante/propranolol-une-pilule-effacer-traumatismes-478774.html

[3] https://www.wada-ama.org/sites/default/files/wada_2019_english_prohibited_list.pdf p. 9

[4] Sigmund Freud, « Le Petit Hans » [1909], Cinq Psychanalyses, Paris, PUF, 1992, p. 169

[5] Miller J.-A., « Déficit ou faille », La Cause du désir, no 98, mars 2018, p. 122.

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