Céline Aulit – Inscription du traumatisme dans l’inconscient ou dans le génome ?
Dans le magazine Marie-Claire clôturant cette année 2018, nous trouvons un article arborant fièrement la thèse révolutionnaire suivante : « nos ressentis et nos modes de vie laissent sur nos gènes des traces que nous transmettons à nos enfants. »
L’étude part d’une histoire – parce que c’est d’abord de cela dont il s’agit – une histoire vécue et racontée par une femme dont la fille, devenue adulte, est le fruit d’un inceste. Malgré le désir de devenir mère, cette jeune femme enchaîne fausses couches sur fausses couches sans que l’on ne puisse en détecter la cause physiologique. Cette énigme de la nature pousse mère et fille à s’adresser à la génétique. Ariane Giacobina, médecin généticienne à l’hôpital universitaire de Genève, concentrera ses recherches sur la fille, la mère et la grand-mère, et détectera chez les trois femmes le gène NR3C1, gène du stress, avec une prédominance chez la fille, c’est-à-dire chez « celle qui n’a pas vécu le viol mais qui en est issue ».
Et la généticienne d’en conclure que « la maltraitance et le viol ne laissent donc pas seulement chez les victimes des traces psychiques. Le traumatisme s’inscrit également dans le génome ».
Cela pose plusieurs questions. La première question concerne ce qui fait trauma pour un sujet. Il y a fort à parier que si l’on examine plusieurs sujets ayant vécu le même événement traumatique, celui-ci ne va pas s’inscrire de la même façon ni avec la même intensité sur l’ADN. Première manifestation du langage. C’est bien parce que nous sommes des sujets de langage que les événements ne nous percutent pas tous de la même façon.
Par ailleurs, ce qui est frappant dans cette démonstration est le nom donné au gène : « gène du stress ». Si les recherches génétiques avaient été aussi avancées il y a deux mille ans, ce gène n’aurait pas porté ce nom, phénomène langagier de notre époque. Seconde manifestation du langage qui touche la science elle-même.
L’épigénétique au centre de cet article, se veut être « la fin du déterminisme par les gènes » – puisque grande surprise ! – l’environnement dans lequel un sujet évolue, a un impact sur ses gènes comme le montrent les résultats des tests d’ADN effectués sur différents groupes d’enfants évoluant en situation de guerre ou dans un univers familial perturbé.
Besoin donc est de trouver des preuves dans le corps de ce que Freud, il y a un siècle, nous démontrait déjà grâce à sa découverte de l’inconscient !
Une différence de taille, toutefois, est qu’aujourd’hui, on veut nous faire croire que nous ne sommes plus des sujets de langage mais des objets de la génétique auxquels la science pourra amener des solutions a-singulières. Il s’agira de « connaître un individu génétiquement afin de lui prescrire régimes, activités physiques et examens médicaux ciblés » puisque « demain, la prise en charge sera en quatre « P » : personnalisée, prédictive, participative et préventive ». Qui peut donc être assez naïf pour croire que cette seule lettre de l’alphabet sera suffisante pour prévenir, effacer et guérir les traumas qui constituent un sujet ?